Extrait Noemí ULLA

Noemí ULLA
Néréides à nu
nouvelles traduites de l’espagnol (Argentine) par Milagros Ezquerro et Michèle Ramond
Préface de Adolfo Bioy Casares.
ISBN 2-911686-39-X
2006
18 €

Lettre à Hugo
Du fond des temps lointains, les lumières blanches que je voyais le soir depuis le train en marche revinrent d’un pas discret. C’était les lumières de l’usine sidérurgique Dalmine Siderca que l’on apercevait, je ne sais plus à quel moment, pendant le trajet de Rosario à Buenos Aires. Dans l’après-midi du port de Saint-Nazaire, les lumières rendent à celles-là l’opacité de l’oubli. La comparaison est une des obsessions de celui qui laisse son pays. Impossible de l’éviter, même quand on le sait. Les lumières, qui à huit heures du matin de cet automne meurent dans le port, prennent la nuit venue diverses couleurs : vert, bleu, orange, rouge, blanc, et l’eau les reçoit pour les transformer en reflet. Toutes ensemble, sur fond de ville et de fumée des cheminées de l’arsenal, elles offrent le spectacle étrange et beau que l’on peut seulement contempler depuis cet édifice, le plus haut de toute la zone.
Les mots cherchent un lieu au ein de la tradition. Pas seulement celle de ma langue, la tradition qui s’est élaborée ici, et qui est restée endormie entre ces murs, dans la solide table noire sur laquelle je travaille, clans les interstices d’autres regards qui forcément ont dû confluer, comme des grains de chapelet, dans l’estuaire. L’eau, de façon naturelle, lave pendant la nuit les mots anciens et au matin ils arrivent comme s’ils étaient neufs, déshabillés, vierges de sonorités et d’intonations. Le français, le norvégien, l’anglais, le danois, l’espagnol, l’autrichien, le chinois les langues flottent dans l’air comme des fantômes lumineux et ma voix se joindra à eux et poursuivra la page blanche dans l’écriture de l’espagnol du Rio de la Plata.

Nouvelles traduites de l’espagnol (Argentine) par Milagros Ezquerro et Michèle Ramond

Carta a Hugo
En la lejanía del tiempo, las luces blancas que veía en el atardecer con la marcha del tren, volvieron con paso secreto. Eran las de la fábrica siderúrgica Dalmine Siderca que había, no sé en qué punto, durante el trayecto de Rosario a Buenos Aires. En la tarde del puerto de Saint-Nazaire, las luces devuelven a aquellas la opacidad del olvido. La comparación es una de las obsesiones del que deja su país. No se la puede evitar, aun sabiéndolo. Las luces, que a las ocho de la mañana de este otoño mueren en el puerto, tienen por la noche diversos colores : verde, azul, naranja, rojo, blanco, y el agua las recibe para convertirlas en reflejo. Todas juntas, en el marco de ciudad y humo de las chimeneas del astillero, ordenan el extraño y bello espectáculo que sólo desde esta vivienda, única de gran altura en la zona, es posible contemplar.
Las palabras buscan un lugar en medio de la tradición. No es sólo la de mi lengua, es la tradición que se ha generado aquí, y que ha quedado adormecida entre los muros, en la sólida mesa negra de trabajo, en los intersticios de otras miradas que necesariamente deben haber confluido, como abalorios, en el estuario. El agua, de manera natural, lava en las noches las palabras antiguas y llegan por las mañanas como si fueran nuevas, desvestidas, vírgenes del sonido y de las entonaciones. El francés, el noruego, el inglés, el danés, el español, el austríaco, el chino ; los idiomas vagan en el aire como claros fantasmas y a ellos se sumará mi voz persiguiendo la página blanca en la escritura del español del Río de la Plata.
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