Extrait du recueil Lectures lointaines

Muharem Bazdulj

Lectures lointaines : Albert Camus ou le traité du bonheur

Poe et les quatre conditions du bonheur :
1 La vie en plein air
2 L’amour d’une femme
3 Le détachement de toute ambition.
4 La création d’un beau nouveau

(Carnet)
Il faut imaginer Sisyphe heureux.
(Le mythe de Sisyphe)

Dans l’un de ses essais, Brodski écrit : "La partie visible de la vie a toujours plus compté pour moi que sa valeur. Par exemple, j’ai aimé la photographie de Samuel Beckett bien avant de lire une seule ligne de ce qu’il avait écrit."

Cet intérêt pour l’aspect physique de l’écrivain ne m’est pas étranger. Je ne pense pas tant ici à des contemporains car ces dix-quinze dernières années les livres sur la couverture desquels il n’y a pas de photographie de l’auteur sont rares ; non, je pense aux écrivains de ces temps d’avant la manie générale de la photographie. Il y a encore une chose qui rend ces vieilles photos plus intéressantes que les nouvelles. En fait, chacun de ces vieux écrivains a comme une photographie canonique, celle qui parait le plus souvent et qui d’une certaine façon esquisse les contours d’un portrait officiel. Il existe cette photo de Kafka sur laquelle il regarde l’objectif avec de grands yeux remplis de quelque étroitesse métaphysique ; il existe ce Dostoïevski, pâle, maigre, barbu dans un lourd manteau au large col, les mains aux longs doigts croisées sur les genoux et le regard absent ; il existe ce sombre Baudelaire au grand front si singulier, la lèvre inférieure adipeuse et deux rides obliques qui lui entaillent le bord de la joue, le cou nu, un nœud papillon et un col rond blanc. Mais je ne veux pas mentir : j’ai vu toutes ces photographies après avoir lu au moins quelque peu les écrits de ces mémorables auteurs. Je pense que dans ma propre expérience il existe un seul auteur comparable à Beckett dans l’expérience de Brodsky ; Je n’ai aimé qu’un écrivain au travers de sa photographie et avant de l’avoir lu : Albert Camus.
Cette photographie canonique (tout au moins pour moi) ressemble à peu près à ceci. L’auteur porte un manteau (Montgomery) le col relevé nonchalamment, nous voyons son visage de profil : Un front haut barré de profondes rides en son milieu, une chevelure noire sévèrement coiffée en arrière, des sourcils épais et des yeux noirs profonds, un nez fort, les joues et le menton rasés, une grimace en demi-sourire, une cigarette pend du coin gauche de la bouche à peine ouverte. J’avais dix ou douze ans lorsque j’ai vu cette image pour la première fois et elle contrastait totalement avec ma vision enfantine de l’apparence typique de l’écrivain. Car quand tu es enfant, tu penses que l’écrivain typique est un homme rabougris à lunettes, quelqu’un comme Sartre, alors que Camus ressemblait d’avantage à un acteur (qu’il a été en effet, je ne le saurai que plus tard), comme Humphrey Bogart dans le rôle de Rick dans Casablanca ou Marlow dans Le grand sommeil. Comme j’ai rêvé, et bien solitaire, à cette époque que je deviendrais écrivain, le personnage de Camus était le symbole de virilité de cette profession. Sans doute chaque garçon au penchant littéraire a-t-il quelque chose d’Hemingway, comme une peur de ne pas paraître mollasson. Camus était pour moi la preuve qu’un écrivain peut avoir une gueule et c’est pour cela que je l’ai aimé. Et c’était une sorte de lecture lointaine. Puis le véritable amour de la lecture viendra plus tard.

Traduit du bosniaque par Kristel Segalen.

Muharem Bazdulj

čITANJE DALJINE : ALBERT CAMUS ILI TRAKTAT O SRECI

Poe i četiri uvjeta za sreću
1.Život na svježem zraku
2.Ljubav nekog bića
3.Ravnodušnost prema bilo kakvoj ambiciji
4.Stvaranje
’ZAPISI’

Sizifa treba da sebi predstavimo kao srećnog.
’MIT O SIZIFU’

U jednom svom eseju Brodski piše : "Vizuelna strana života uvijek mi je više značila od njegovog sadržaja. Fotografiju Samuela Becketta sam, na primjer, zavolio mnogo prije nego što sam pročitao i jedan red koji je napisao." Nije mi strano to interesovanje za fizički izgled pisca. Ne mislim ovdje toliko na suvremenike jer su u posljednjih deset-petnaest godina knjige na čijim koricama nema autorove fotografije ionako prilično rijetke ; ne, mislim na pisce iz vremena prije sveopće manije fotografiranja. Ima još jedna stvar koja ove starije fotografije čini interesantnijim od novijih. Naime, svaki od tih starijih pisaca kao da ima jednu kanonsku fotografiju, onu koja se najčešće objavljuje i koja nekako poprimi obrise zvaničnog portreta. Postoji ona slika Kafke u kojoj gleda u objektiv velikim očima punim neke metafizičke tjeskobe ; postoji onaj blijedi mršavi bradati Dostojevski u teškoj kaputini s velikom kragnom, s dugoprstim rukama prekriženim na koljenu i odsutnim pogledom ; postoji onaj smrknuti Baudelaire s čudnovato visokim čelom, ispupčenom donjom usnom i dvije ukošene bore što sijeku rub obraza, s golim vratom, glomaznom mašnom i bijelom okruglom kragnom. No neću lagati : sve ove fotografije sam vidio tek nakon što sam pročitao barem ponešto što su spomenuti pisci napisali. Mislim da u mom vlastitom iskustvu postoji samo jedan pisac analogan Beckettu u iskustvu Brodskog ; samo sam jednog pisca zavolio preko fotografije i prije nego sam ga čitao : Alberta Camusa.

Ta kanonska (barem za mene) Camusova fotografija izgleda otprilike ovako. Pisac je u tamnom kaputu (montgomercu) s frajerski podignutom kragnom, lice mu vidimo u poluprofilu : visoko čelo s ozbiljnim borama na sredini, oštra crna kosa začešljana naviše, guste obrve i tamne prodorne oči, izrazit nos, izbrijani obrazi i brada, grimasa poluosmijeha, cigareta što viri iz lijevog kuta jedva otvorenih usta. Imao sam deset ili dvanaest godina kad sam prvi put vidio tu sliku i ona je u potpunosti odudarala od djetinjske vizije tipičnog izgleda za jednog pisca. Jer kad si dijete misliš da je tipični pisac neki smotani cvikeraš, neko poput Sartrea, dok je Camus izgledao više kao glumac (da je zbilja bio i glumac saznaću tek kasnije), kao Humphrey Bogart u ulozi Ricka iz Casablance ili Marlowea iz Velikog sna. Kako sam i sam još u ono doba sanjao da ću postati pisac, Camusov lik bio je znamenje muževnosti ove profesije. Valjda svaki dječak sa književnim nagnućem ima nešto od Hemingwaya, neki strah da ne izgleda kao mekušac. Meni je Camus bio dokaz da pisac može biti faca i tako sam ga zavolio. I to je bilo svojevrsno čitanje daljine. A prava čitateljska ljubav doći će kasnije.

Pepetela

Lectures du lointain

Il m’est toujours difficile de rechercher des influences. Qu’il y en eût, c’est certain, car personne n’échappe à son propre passé. Mais expliquer comment ce passé se manifeste dans le présent et, surtout, dans la façon de vivre ce présent, là réside toute la difficulté. Il en va de même avec les lectures qui ont probablement influencé notre manière de sentir la vie, et notre façon de l’exprimer à travers la littérature. Mais je ferai un effort, même si je sais que tout est trop subjectif et incertain, et que ma réponse serait sûrement très différente si je la donnais à un autre moment, en un autre lieu. Et je me risquerai malgré tout à prendre appui sur ce que j’ai lu et qui m’a marqué, ou tout au moins sur ce qui me semble actuellement avoir jusqu’à un certain point modelé mon plaisir de lire un texte. Entre le plaisir du texte et le penchant à écrire de même, il n’y a qu’un pas.
Vers la fin de l’enfance, je suis passé par une phase où je dévorais de nombreux livres d’aventures et de voyages. Mon père possédait une bibliothèque raisonnable, compte tenu de l’époque et du lieu, les confins oubliés d’une colonie africaine extrêmement attardée, au milieu du siècle dernier. Et je me souviens d’une collection portugaise à couverture jaune, des livres de petit format mais épais, où Jules Verne prédominait. Mais on y trouvait aussi Stevenson (L’Île au trésor, La Flèche noire), Emilio Salgari (de nombreux Sandokan, le héros, mais aussi L’Esclave de Madagascar) et Walter Scott (Ivanhoé, Le Pirate, par exemple). Après les histoires illustrées pour enfants, ce furent les premiers livres qui me marquèrent, au point que je m’en souviens encore aujourd’hui. C’étaient des écrivains qui nous emportaient dans tous les endroits possibles du monde et à différentes époques. Qui nous captivaient et nous faisaient rêver, non seulement grâce aux personnages et aux péripéties de l’intrigue, mais aussi grâce aux différences des peuples et des contrées, des cultures et des coutumes, dont ils parlaient en connaissance de cause, et avec beaucoup d’imagination et de sensibilité. À une époque où la télévision n’existait pas, ils nous montraient un monde inconnu. C’est à travers eux, par exemple, que j’ai découvert l’Europe et une grande partie de son histoire. Mais aussi l’Asie, et que j’ai commencé de m’intéresser à l’Amérique. Ce fut certainement un des livres de Jules Verne, probablement un des moins connus de cet auteur prolifique, La Jangada, qui ouvrit mon imagination à la forêt amazonienne, tout au long d’un voyage aventureux sur un fleuve en quête d’une énigme. C’est là qu’est née ma fascination pour le Brésil et pour les forêts, toutes les forêts. Et, paradoxe ironique, après être allé des dizaines de fois dans ce pays qui, pour nous, Angolais, apparaît historiquement comme une sorte de frère plus âgé, je constate que je n’ai jamais mis le pied en Amazonie. Cela viendra-t-il  ? Peut-être n’est-il pas si important d’essayer de poursuivre tous les rêves de l’enfance, l’essentiel étant d’avoir rêvé à cet âge-là.
À la même époque, j’ai découvert Tarzan de Edgar Rice Burroughs qui, cependant, m’a très vite embarrassé. Je ne comprenais pas alors ce qui me dérangeait, même si je continuais de dévorer les histoires des véritables miracles acrobatiques du couple blanc au cœur de la forêt équatoriale du Congo. Ce n’est que bien plus tard, quand les idées nationalistes bouillonnaient déjà dans les têtes de ma génération, que j’ai compris la raison de cette gêne, le racisme voilé ou même déclaré de Rice Burroughs, qui parvenait à rendre les grands singes plus intelligents et humains que les humains africains. Quelle différence avec la manière dont un Salgari ou un Jules Verne traitaient les peuples et les civilisations qui leur étaient étrangers  ! Nous pourrions peut-être les accuser de paternalisme si nous les relisions aujourd’hui. J’admets que cela soit possible. Je ne l’affirmerai pas, cependant, car je n’ai revisité leurs œuvres qu’à travers des films et, par conséquent, médiatisées par d’autres auteurs, et peut-être même altérées ou tout au moins contaminées par des procédés et des moyens techniques différents des leurs. Plus tard, les connaissances en Psychologie et en Sociologie m’amenèrent à la conclusion que Tarzan était non seulement une absurdité, mais encore une impossibilité scientifique, et je l’éliminais pour de bon.

Traduit du portugais (Angola) par Sebastien Roy.

Pepetela

Leituras do longe

É sempre difícil para mim procurar influências. Que as houve, é certo, pois ninguém é imune ao seu próprio passado. Mas explicar a maneira como esse passado se manifesta no presente e, sobretudo, na maneira de viver esse presente, eis a real dificuldade. O mesmo se passa com as leituras que tenham provavelmente influenciado a maneira de sentir a vida e a forma de a expressar através da literatura. Mas farei um esforço, embora saiba ser tudo demasiado subjectivo e falível e que a resposta seria certamente muito diferente se feita em outro tempo ou em outro espaço. Arriscarei no entanto socorrer-me do que li e me marcou, ou pelo menos o que intuo actualmente do que até certo ponto terá modelado o meu prazer em ler um texto. Do prazer do texto até à tendência a escrever parecido vai só um passo.
Tive uma fase de fim de infância em que devorava muitos livros de aventuras e viagens. O meu pai possuía uma biblioteca razoável atendendo à época e local, os confins esquecidos de uma atrasadíssima colónia africana em meados do século passado. E lembro-me de uma colecção portuguesa de capa amarela, livros de formato pequeno mas espessos, dominada por Jules Verne. Mas nela estava também incluído Stevenson (“A Ilha do Tesouro”, “A Flecha Preta”), Emilio Salgari (muitos com Sandokan, o herói, mas também “O escravo de Madagáscar”) e Walter Scott (“Ivanhoe”, “O Pirata”, por exemplo). Depois das histórias infantis ilustradas, estes terão sido os primeiros livros que me marcaram , ao ponto de ainda hoje os recordar. Eram escritores que nos transportavam a todos os lugares possíveis do mundo e a diferentes eras. Que nos prendiam e faziam sonhar, não só com os personagens e as peripécias da acção, mas com as diferenças entre povos e terras, culturas e costumes, tratados com algum conhecimento de causa, mas muita imaginação e bastante sensibilidade. Na época em que não havia televisão, eles mostravam-nos um mundo desconhecido. Foi através deles que conheci, por exemplo, a Europa e muita da sua história. Mas também a Ásia e me comecei a interessar pela América. Certamente foi um dos livros de Jules Verne, provavelmente um dos menos conhecidos desse prolífico autor, “A Jangada”, que me abriu a imaginação para a floresta amazónica, numa viagem aventurosa descendo o rio atrás de um enigma. Começou aí o meu fascínio pelo Brasil e pelas florestas, todas. E, paradoxo irónico, depois de ter estado dezenas de vezes nesse país que para nós, angolanos, aparece historicamente como uma espécie de irmão mais velho, constato que nunca pus o pé na Amazónia. A célebre e prometida viagem pelo rio, de Belém a Manaus, não se realizou até hoje. Acontecerá ? Talvez não tenha tanta importância tentar perseguir todos os sonhos de infância, o que interessa é ter sonhado então.
Pela mesma altura, tive acesso ao Tarzan de Edgar Rice Burroughs que, no entanto, cedo me incomodou. Na época não entendia o que me desagradava, embora continuasse a devorar as aventuras dos verdadeiros milagres acrobáticos do casal branco em plena floresta equatorial do Congo. Só muito mais tarde, quando já as ideias nacionalistas fervilhavam nas cabeças da minha geração, entendi a razão do incómodo, o racismo velado ou mesmo declarado de Rice Burroughs, que conseguia colocar os grandes símios mais inteligentes e humanos que os humanos africanos. Que diferença de tratamento de um Salgari ou de um Jules Verne em relação a povos e civilizações estrangeiras a eles próprios. Poderíamos talvez hoje acusá-los de paternalismo se os relêssemos. Admito a possibilidade. Não o afirmo, contudo, pois de facto só os revisitei em filmes e, portanto, mediatizados por outros autores, quem sabe se também adulterados ou pelo menos contaminados por processos e meios técnicos diferentes dos seus. Mais tarde, também os conhecimentos de Psicologia e Sociologia me levaram à conclusão que Tarzan era, além de um disparate, uma impossibilidade científica, e mateio definitivamente.