Un demi-hiver à Saint-Nazaire

Noëlle Revaz et Michael Stauffer
Un demi-hiver à Saint-Nazaire
traduit du français vers l’allemand par Andreas Münzer - de l’allemand vers le français par Barbara Fontaine
ISBN 979-10-95145-13-4
2018
15 €

Durant leur séjour à la Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs de Saint-Nazaire (MEET), Noëlle Revaz et Michael Stauffer se sont mutuellement passé des commandes d’écriture. Par exemple, regarder par la fenêtre toutes les vingt-huit minutes, pendant une heure et demie. Ou : Tu détestes les bateaux ! Ecris négativement sur le sujet. Ou : Pose quatre questions à ton partenaire et transcris ses réponses en restant fidèle à la vérité. De cet exercice est né le texte présenté : Un demi-hiver à Saint-Nazaire

Observations/Beobachtungen 1
I
Le pont et son va-et-vient de voitures. Il y a une sonnerie d’école pour dire quand il va se lever. Ça me rappelle la récréation. Pas du tout désagréable comme bruit. Je me demande si quelqu’un regarde s’il y a un piéton sur le pont avant de le lever et si l’on a calculé le temps nécessaire pour le traverser à pied. Je serais tentée d’essayer, d’aller de l’autre côté et de commencer à traverser en courant dès que ça sonne. Finir ensuite suspendue au bout, comme dans un film. Toutes ces voitures qui vont et viennent, j’ai pensé le premier jour que c’étaient les employés du chantier naval. Mais ce sont en fait des retraités qui se retrouvent au bout de la jetée, pour discuter et peut-être pêcher. Je les ai vus ce matin, ils étaient tout petits comme des Italiens. Ils sont arrivés l’un après l’autre dans de petites voitures, habillés de noir, comme pour une réunion semi-criminelle. Ils gesticulaient, en cercle. J’ai fait exprès de les saluer d’un mouvement de la tête pour voir leur réaction et l’un d’entre eux m’a dit Bonjour Madame. Quand on se promène avec une poussette, on gagne en respect et en invisibilité. Je sentais que je les dérangeais. Les gens d’ici sont renfermés, il faut les ouvrir avec précaution.

II
Ein Fahrradfahrer in gelber Regenjacke fährt über die Hebebrücke, die eigentlich eine Kippbrücke ist. Gleich danach rasselt eine Glocke, die Barrieren senken sich, die Brücke ist also gesperrt und beginnt sich zu heben. Ich schaue genau zu, setze mich wieder und spiele danach auf dem Schreibtisch die Mechanik der Brücke mit zwei Büchern, einem Lineal und einem T-Shirt, das als Schiff dient, nach. Noëlle schaut kurz ins Zimmer und versteht die Wichtigkeit dieses Schauspiels sofort, lacht und geht weiter. Es macht einen grossen Unterschied, ob man Hebebrücke oder Kippbrücke schreibt und ob man versteht, was man schreibt. Ich beende meine Simulation.
Die Brücke steht schliesslich fast senkrecht, streckt sich in den Himmel. Autos parkieren vor einem Lotsenboot, Männer steigen aus und ziehen sich dicke Windjacken an. Unter der Ziehbrücke fährt ein Kanalsaubermachboot (eine „drague“) vorbei. Ein Angestellter der Hafenbehörde raucht am Ende der Brücke, ich stehe kurz auf, stecke meine Hände in die Gesässtaschen. Ein anderer Hafenbeamter uriniert gegen das Hinterrad seines Kleintransporters, er weiss nicht, dass ich gut gelaunt zuschaue.

III
D’où je suis, je peux à peine distinguer le petit phare qui se dresse en face de la fenêtre du bureau. Il est presque de la même couleur que l’estuaire aujourd’hui, boueux, et que le ciel aussi. La marée a sûrement englouti les fleurs de la vieille dame : ce matin, avant mon expédition chez les retraités, j’ai remarqué une vieille femme, très large et courte, à jambes épaisses et fichu, debout à côté de sa voiture. Elle s’est avancée vers le phare, avec sa canne. Comme il y a des escaliers, elle a renoncé à aller jusqu’au bout. Elle tenait un bouquet de roses dans sa main libre. J’ai deviné son intention et j’ai voulu l’observer. Le bouquet a flotté à un mètre ou deux de la rive, contre le mur de la jetée. À mon avis, il aurait dû partir vers la haute mer.

IV
Es klingelt schon wieder wie auf einem Schulhof, die Kippbrücke beginnt sich zu heben, ein Lotsenschiff drängelt bereits wie ein ungeduldiges Kind vor der halb geöffneten Schleuse.

V
Incroyable le nombre de voitures qui circulent dans ce port. Ce sont elles que je regarde, les bateaux se déplacent de manière plus organique. Ce qui me dépayse le plus ici ce ne sont pas les bateaux, ce sont les cris des mouettes. Je m’aperçois que je ne sais pas regarder les bateaux.

VI
Grauer Himmel, dunkles Wasser, trüb, verschmutzt. An den Stränden wird per Anschlag davon abgeraten, gesammelte Muscheln zu essen. Eine Möwe zieht ihre Kreise. Ein Einheimischer wird mir später sagen, diese Muschelsammel-Verbote seien von der Fischer-Mafia erwirkt. Man wolle damit die Hobby-Muschelsammler vertreiben. Komisch ist, dass dieselben Muscheln, die von den Berufsfischern in derselben Zeit gefangen werden, absolut unbelastet von Bakterien etc. sind.