Extrait du recueil L’histoire ou la géographie
La langue est de l’histoire, et le récit est de la géographie
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Dans un de ses poèmes, le poète israélien Yehuda Amihaï parle de notre habitude de toujours évoquer les guerres pour dater des événements ou des souvenirs, et jamais la paix. Tout le monde dira que telle chose est arrivée, par exemple, avant la Seconde Guerre mondiale ou après celle des Six Jours ; personne ne dira que quelque chose s’est passé, disons, avant la paix de 1967 ou avant celle de 2002. Un autre point encore est à remarquer à ce sujet : les guerres reçoivent toujours des noms, parfois même des surnoms, alors qu’une paix reste le plus souvent anonyme. Autrement dit, les guerres sont à retenir, alors qu’on peut tranquillement laisser la paix tomber dans l’oubli. Nous vivons d’une guerre à l’autre, non d’une paix à l’autre.
C’est quelque part par là qu’il faut chercher la raison de l’absence de l’histoire dans les livres que j’ai publiés avant le début des années quatre-vingt-dix. Je suis né après la Seconde Guerre mondiale, or cette guerre, même si j’avais bien compris sa terrible importance (et particulièrement l’horreur de la Shoah), n’était nullement un repère pour moi. Au contraire, vivant dans un pays communiste qui glorifiait son rôle dans cette guerre, celle-ci était devenue un symbole qu’en tant qu’écrivain je tâchais d’éviter. Je voyais la thématique liée à cette guerre comme quelque chose qui appartenait à la précédente génération d’écrivains, à ceux qui avaient adopté les principes du réalisme socialiste et l’idéologie communiste. L’histoire ne disait vraiment rien à ceux qui, comme moi, avaient grandi dans le monde de la culture rock et dont la formation d’écrivain avait eu lieu dans le cadre du postmodernisme. À l’instar de Fukuyama, j’ai cru moi aussi que l’histoire était arrivée à sa fin. J’étais loin de me douter qu’elle allait seulement commencer pour moi.
La dislocation de la Yougoslavie, accompagnée de guerres sur différents fronts, a fait entrer l’histoire dans ma prose. Autrefois, il m’arrivait d’ironiser en parlant de l’histoire — comme dans la nouvelle La grande révolte au camp nazi de Stulln qui fait partie du recueil Description de la mort — mais depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, à partir du roman L’Homme de neige (1) (1995), l’ironie disparaît. Je dirais que mes romans L’appât (2) (1996), Mrak / Ténèbres (3) (1997), Goetz et Meyer (4) (1998) reflètent mon impuis-
sance et mon horreur face à l’histoire. Ils expriment mon désespoir devant le fait que l’homme n’est, malgré tout, qu’un fétu dans la tourmente de l’histoire, qu’il n’y peut rien, quoi qu’il tente de faire.
1. Aux Éditions Gallimard, 2004.
2. Gallimard, 1999.
3. Ginkgo, 2007.
4. Gallimard, 2002.
Traduit du serbe par Gojko Lukić.
David Albahari
Jezik je istorija, priča je geografija
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Izraelski pesnik Jehuda Amihaj pisao je u jednoj pesmi o tome kako ljudi uvek koriste ratove da bi odredili vreme nekog zbivanja ili uspomene, a da niko u takvim prilikama ne pominje mir. Svi će reći da se nešto dogodilo, na primer, pre Drugog svetskog rata ili posle Šestodnevnog rata ; niko neće reći da je nešto bilo pre mira iz, recimo, 1967. ili 2002. godine. Tu treba zapaziti još nešto : ratovi uvek dobijaju imena, nekad i nadimke, dok je mir češće bezimen. Drugim rečima, ratove treba pamtiti, dok mir možemo slobodno da zaboravimo. Živi se od rata do rata, ne od mira do mira.
Tu negde krije se razlog zašto u knjigama koje sam objavio do početka devedesetih godina nema istorije. Rođen sam posle Drugog svetskog rata i taj rat, iako sam razumeo njegovu strahotnu veličinu (i posebno užas Holokausta) nije mi predstavljao nikakvo merilo. Naprotiv, on se, budući da sam živeo u komunističkoj zemlji koja je glorifikovala svoje učšće u tom ratu, pretvorio u simbol koji sam, kao pisac, pokušavao da izbegnem. Bavljenje ratnom tematikom video sam kao nešto što je pripadalo prethodnoj generaciji pisaca, onima koji su prihvatili načela socijalističkog realizma i komunističku ideologiju. Onome ko je, poput mene, odrastao u svetu rok kulture i razvijao se kao pisac u okvirima postmodernizma, istorija nije doista ništa značila. Poput Fukujame, i ja sam doista verovao da joj je došao kraj. Nisam mogao ni da naslutim da je ona tek trebalo da počne.
Raspad Jugoslavije, praćen ratom na raznim frontovima, uveo je istoriju u moju prozu. Ranije sam se ponekad podsmevao istoriji — u nekim pričama poput « Velike pobune u nacističkom logoru u Štulnu » iz zbirke Opis smrti — ali od sredine devedesetih godina, počevši od romana Snežni čovek, podsmeh je iščezao. Romani Mamac, Mrak, Gec i Majer odražavaju, rekao bih, moju nemoć i užas pred istorijom. Oni su napisani kao izraz očajanja pred uvidom da je čovek, ipak, samo slamka na vetrometini istorije i da, šta god pokušao da učini, ona uvek ostaje nepromenljiva.
L’écrivain, le site, l’« historico-site » et la société
Dans un poème intitulé J’explique certaines choses, le poète Pablo Neruda écrit :
Vous allez vous demander : pourquoi sa poésie ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles, des grands volcans de son pays natal ?
Venez voir le sang dans les rues,
Venez voir
Le sang dans les rues
Venez voir
Le sang dans les rues ! (1)
L’écrivain est d’emblée le conservateur naturel des événements, de la beauté et de la laideur de son pays, d’espaces proches et distants. C’est une sorte de rêveur dont la tâche consiste à voir, à enregistrer et à mettre en garde. L’écrivain évoque le paysage et l’Histoire qui s’enracine dans ce paysage. Mon travail d’écriture porte sur des sites restreints, j’essaie de retrouver des histoires en apparence insignifiantes mais qui prennent toute leur dimension à mesure que j’exhume les visions émanant de ces sites. Dans ma prose comme dans mes poèmes, je tente de réhabiliter des rêves insignifiants, liés à des sites insignifiants, afin qu’ils puissent être à nouveau reconnus comme des particularités formant les composantes essentielles de l’universalité. L’universel réside dans le particulier. Sans les petites voix de l’orchestre, la symphonie serait incomplète.
La responsabilité de l’écrivain est double. C’est un citoyen, et à ce titre, tous les devoirs civiques sans exception relèvent de sa mission. Si des ouvriers manifestent publiquement contre leur patron, c’est à l’écrivain d’écrire la banderole qu’ils exhiberont dans la rue. Et si l’ensemble des citoyens décide de faire une grève de la faim, l’écrivain a le devoir de se mettre en grève lui aussi et de protester.
Mais l’écrivain est également un artiste, et en tant que tel, il possède des aptitudes — maîtrise de la langue, génie des mots —, intimement liées à la communication, à la communication publique. Cela signifie, semble-t-il, que tout citoyen doué d’un talent artistique a le devoir et la responsabilité d’en faire profiter le public. Car publier, c’est précisément rendre un ouvrage public, le mettre à la disposition du plus grand nombre. L’auteur a ipso facto des obligations envers son « public », tout comme le menuisier a charge de fabriquer des chaises neuves et confortables pour asseoir le sien. Le menuisier ne nous serait d’aucune utilité s’il fabriquait des chaises et des tables pour son seul bénéfice. Mais parce qu’il les fabrique pour notre usage à tous, il se doit de savoir ce qui rend une chaise confortable. Pourquoi n’en irait-il pas de même avec l’écrivain ?
1. Pablo Neruda, J’explique certaines choses, dans Résidence sur la terre, III, traduction de Guy Suarès, Gallimard, 1972.
Traduit de l’anglais (Zimbabwe) par Corinne Faure-Geors.
Chenjerai Hove
Writer, Landscapes, Historicoscapes and Society
Publo Neruda, in one of his poems titled ‘I am explaining a few things’ wrote :
‘And you will ask : why doesn’t his poetry speak of dreams and leaves and the great volcanoes of his native land ?
Come and see the blood in the streets.
Come and see
the blood in the streets.
Come and see the blood
in the streets.’
Right from the onset, the writer becomes a recorder of events, of the beauty and ugliness of his\her own land, of spaces local and distant, some kind of dreamer whose task is to see, record and warn. The writer names the landscape as well the history which is steeped in that landscape. I write about small geographical spaces and try to trace those seemingly small histories which become big as I trace the visions which have been created out of the small geographical spaces. In my fiction and poetry, I try to enlarge small dreams dreamt in small places so they can once again be recognized as particularities which make the essential components of universality. The universal is in the particular. It is the small voices in an orchestra which make the totality of the music.
The writer has a dual responsibility : he/she is a citizen. All civic duties are also a writer’s task. If there is a public demonstration against the boss at work, the writer also makes the placard to carry along the street. If all the citizens decide to go on a hunger strike, the writer is also duty-bound to go on strike, to protest.
But then the writer is also an artist, a person with certain artistic skills, as wordsmith, language, which are basically related to communication, public communication. It would seem that means every citizen who has skills has the duty and responsibility to use them for the public good. For, to publish is to make something public, to make something available for the public. That immediately makes one accountable to this ‘public’ just as the carpenter is responsible for creating new and comfortable chairs for the public to sit. The carpenter would not be of any public interest if he made chairs and tables only for himself and his wife. But because he makes them for us all, he has a duty to know what it is that makes a chair comfortable to sit in. Why not the writer.