Extrait revue meet n°09

SÃO PAULO / LE CAP

BRUNO ZENI

Corps à corps avec le béton

Je marche dans ces rues comme un homme qui cherche sa propre maison. Un homme qui ne se rappelle plus, un homme qui ignore, un homme qui se demande où était le point de départ, un homme qui traverse un unique monde – il n’y a pas d’autre temps, on ne peut pas changer cet espace. Nous sommes ancrés dans cet air, aimantés par ce sol de béton et d’asphalte, abrités par le ciel – le ciel de la ville est celui-ci, que je regarde à présent et qui reflète et me renvoie mes douleurs. Ce sont les tiennes, avale-les sans eau, sens ta gorge serrée et raidie comme un tuyau fissuré et obscur – voilà ce que les cieux me disent. Oui, ils se réfèrent à moi, ils s’adressent à mon existence, ils se rapprochent tellement qu’ils me touchent presque. Je marche au hasard, je marche vraiment.

Traduit du portugais (Brésil) par Sébastien Roy.

Corpo-a-corpo com o concreto

Eu ando por estas ruas como quem procura a própria casa. Como quem já não se lembra, como quem ignora, como quem se pergunta onde ficou o ponto de partida, como quem percorre um único mundo — não há outro tempo, não se troca este espaço. Estamos ancorados neste ar, imantados por este chão de concreto e asfalto, abrigados pelo céu — o céu da cidade é este aqui, que olho agora e me reflete e devolve minhas dores. Elas são tuas, engole a seco, sente a garganta fechada e enrijecida como uma mangueira fissurada e escura — eu ouço os céus me dizerem. Sim, eles se referem a mim, eles se dirigem à minha existência, eles se aproximam a ponto de quase me tocar. Eu ando por aí, ando mesmo.

ANTJIE KROG

Rencontre d’athlétisme dans la nouvelle Afrique du Sud

Le coup de pistolet retentit. Ils se penchent dans la courbe. Émergeant du groupe des garçons blancs, se détache la silhouette d’un enfant noir, bien droit, les doigts nonchalamment pointés à chaque foulée. Dans la ligne droite, il est loin devant, courant avec la grâce magique d’un champion. La foule des tribunes est debout. Les écoles noires hurlent sauvagement et se pressent contre les barrières. Les parents blancs acclament, l’un d’eux lance son chapeau en l’air et sur la ligne d’arrivée une juge blanche qui l’encourage de ses cris est presque pliée en deux.

Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Françoise Garnier
extrait du premier chapitre (Random House, 2004) de A change of tongue.

Athletics Meeting in the New South Africa

The gunshot cracks. They lean into the curve. Out from among the white boys shifts the figure of a black child, upright, his fingertips effortlessly upwards at every stride. Down the straight he is way ahead, running with the compelling grace of a top-athlete. The pavilion-crowd is on its feet. The black schools yelling wildly and pressing up against the railings in front. The white parents cheering, one tossing a hat into the air and at the finish line a white track official bends almost double by her encouraging screeches.