Extrait revue meet n°10

MEXICO / SARAJEVO

MARKO VESOVIC

La Sœur de Milan Milišić

Je m’appelle Milica. Lorsqu’il voulait se montrer tendre envers moi, mon frère m’appelait Milice. Durant cette guerre, j’ai perdu mon frère et ma mère. Je n’ai plus personne. Et, de surcroît, je suis malade.
— N’oublie pas qu’il te reste Dieu, me rappelle ma voisine.
C’est sûr, vraiment, je l’oublie toujours, celui-là, me dis-je. Mais je ne crois pas que Dieu m’en voudra pour autant. Nous sommes ici-bas pour oublier. Si nous n’avions pas cette capacité, nous n’existerions plus. Telle est, du moins, mon opinion personnelle.
Moi aussi, j’ai fait des études supérieures, mais je suis ensuite tombée malade. Les médecins m’ont dit que c’était parce que j’avais été surprotégée tout au long de ma vie. J’ai vécu sous une cloche de verre : ma mère, ma tante et le reste de la famille, d’un côté comme de l’autre, m’ont épargné tous les désagréments, et c’est ce qui a causé ma perte, prétendent-ils.

Traduit du bosniaque par Mireille Robin

Sestra Milana Milišića

Meni je ime Milica. Kad je htio da bude prema meni nježan, Milan me zvao Milicija. U ovom ratu sam ostala bez brata i bez majke. Više nemam nikog. A i bolesna sam.
“Ne zaboravi da imaš Boga”, kaže mi komšinica.
E, zbilja baš, tako je, to stalno zaboravljam, mislim se ja. Ali ne mislim da će zbog toga meni Bog zamjeriti. Tu smo da zaboravljamo. Kad ne bismo zaboravljali, ne bi nas ni bilo. To je moje lično mišljenje.
I ja sam završila fakultet, ali sam se poslije toga razboljela. Ljekari su mi rekli da sam oboljela zato što sam u životu bila prezaštićena. Živjela sam pod staklenim zvonom : majka, tetka, ostala rodbina, svi me, sa sviju strana, branili od života, i baš to me, vele, uništilo.

MARIO BELLATIN

Underwood portable. Modèle 1915

Je me souviens de cette image. La première qui m’ait poussé à écrire Salon de beauté. Des poissons enfermés dans un aquarium, suspendus dans un espace artificiel sans grand rapport avec l’endroit où est posé l’aquarium. Les nuits suivantes, je me réveille en proie à des accès de claustrophobie. Je passe plusieurs heures d’affilée, surtout celles de l’aube, à penser terrifié au risque encouru par chacun d’entre nous de se retrouver enfermé sans possibilité de fuite.

Traduit de l’espagnol (Mexique) par Sophie Gewinner

Underwood portátil. Modelo 1915

Recuerdo esa imagen. La primera que me llevó a escribir el libro Salón de belleza. Peces atrapados en un acuario, suspendidos en un espacio artificial que poco tiene que ver con el entorno donde la pecera está colocada. En las noches siguientes, despierto presa de ataques de claustrofobia. Paso varias horas seguidas, especialmente las del amanecer, pensando con terror en el riesgo que tiene cualquiera de nosotros de quedar encerrado sin posibilidad de salida.