Extrait revue meet n°12

Le Caire / Vancouver

ALAA KHALED

Les années de l’enfance aveugle

9, rue Qordahi

Chaque fois que, plusieurs années ayant passé,
S’estompait en elle la brillance du souvenir,
Elle préparait ses valises et, claudiquant sur sa béquille d’acier,
Venait à Alexandrie
Revoir la maison où elle avait grandi
Chez ses parents au 9, rue Qordahi.

Elle trouve la villa toujours debout, à seule fin
Peut-être que sa vie ne connaisse jamais la trahison.
Elle égrène de sa démarche lourde
Tous les détails qui s’étaient dérobés à sa vue
Et les aimante à elle pour reconstituer le souvenir.

Elle se tient au pied de la maison,
Scrute la fenêtre où, petite, elle s’était tenue,
Et depuis laquelle elle avait vu
Se tisser, dans le jardin, les mailles du complot —
Le nouvel acheteur en train de mesurer,
En mètres carrés, la superficie de son enfance.

Comme elle avait pleuré alors,
Des sanglots de fille unique !
Elle était bien trop petite alors,
Pour refermer la fenêtre sur ses pleurs
Ou pour se maintenir à flot
Au-dessus du souvenir
Afin de le laisser grandir à ses côtés
Comme on le ferait avec un frère aimé.

Poèmes extraits du recueil Kursiyân mutaqâbilân (Deux chaises en vis-à-vis).
Traduits de l’arabe (Égypte) par Khaled Osman.

STAN PERSKY

La Haie
Le type des services municipaux a dit que nous devions tailler la haie.
La haie dont il parlait est une rangée d’imposants lauriers qui borde sur toute sa longueur le côté Est du terrain où se trouve la maison où j’habite (en fait où j’habitais encore récemment), 2504 York Avenue, dans ce quartier de Vancouver appelé Kitsilano. C’est une maison à deux étages, en angle, sur Larch Street entre York Avenue et la 1ère Avenue, dans cette longue montée orientée Nord-Sud qui culmine près de la 3ème ou 4ème Avenue, d’où elle redescend jusqu’à l’anse de Burard sur la plage de Kitsilano.
En fait, quand j’y pense maintenant, toute la côte Sud de cette anse n’est qu’une succession de collines et de coteaux qui descendent en direction du Nord-Est, à partir de la 33 ème Avenue (il y a très longtemps, quand je suis arrivé dans la ville, je grimpais par là pour aller chez les Tallmans, qui habitaient sur la 37ème Avenue), et bien sûr, l’envisager de cette façon m’amène aussitôt à imaginer toute cette région avant qu’elle devînt la ville de Vancouver, avant même qu’elle ne fût un campement pour pêcheurs aborigènes, quand elle n’était que collines couvertes d’une épaisse forêt et coteaux dévalant jusqu’à un rivage sans nom, mais je n’ai vraiment pas le temps maintenant — même si j’en ai très envie, car c’est sans doute la seule façon de comprendre la suite — de vous décrire toute la configuration de la région. Il faut plutôt que je me concentre sur la haie.

Traduit de l’anglais (Canada) par Françoise Garnier.

The Hedge
The guy from the city said that we had to trim the hedge.
The hedge he was referring to is a succession of large laurel bushes that border the whole length of the eastern side of the property on which the house where I live (or lived, until recently), 2504 York, in the district of Vancouver called Kitsilano, is sited. It’s on the corner, a two-storey house running about half a block up the hill along Larch Street to the lane between York and 1st Avenues, part of the long
initial north-south slope that peaks around 3rd or 4th Avenue, from which it rolls back down to the edge of Burrard Inlet at Kitsilano Beach.
Actually, now that I think about it in this way, the whole south shore of that inlet is a series of hills and slopes that makes its way downward, in a northeasterly direction, from about 33rd Avenue (many years ago, when I first came to the city, I used to go up that way to see the Tallmans, who lived on 37th Avenue), and of course, thinking about it in this way immediately causes me to imagine the whole place before it was the city of Vancouver at all, or even an aboriginal fishing camp, when it was just thickly forested hills and slopes rolling down to the unnamed shore, but I really don’t have time right now — as much as I’d like to, since it’s probably the only way that we can understand any of this — to give you the whole lay of the land. Instead, I’ve got to focus on the hedge.