Extraits revue meet n°01

Trieste / Buenos-Aires

CESAR AIRA

El Lianto (extrait)

Claudia m’a abandonné il y a un an, en proie à une folie aussi imprévisible qu’absurde, qui prit la forme d’une passion violente pour un Japonais. Je dus me résoudre à me dire que Claudia était devenue folle. Il est des comportements qui échappent aux relations causales vérifiables, mais qui échappent aussi aux relations non causales. Il convient alors de développer une autre logique, qui n’est plus la logique de cette histoire-ci ou bien de cette histoire-là, mais celle de blocs complets d’histoires à la dérive, dont on n’arrivera jamais à comprendre ce qu’elles ont à voir les unes avec les autres.

Traduit de l’espagnol (Argentine) par Michel Lafon.

El Llanto

Claudia me abandonó hace un año. presa de una locura tan imprevisible como absurda, que tomó la forma de una violenta pasión por un japonés. Hubo un momento en que tuve que decirme que Claudia se había vuelto loca. Hay comportamientos que escapan a las relaciones causales verificables, pero también escapan a las relaciones no-causales, y entonces hay que desarrollar otras lógicas, ya no la de esta o aquella historia sino la de bloques completos de historias inconexas que uno jamás llegará a comprender qué tienen que ver unas con otras.

FULVIO TOMIZZA

Il est triste de vieillir dans une ville de vieillards

À Trieste un habitant sur trois, si ce n’est sur deux et demi, est à la retraite, la moyenne d’âge frôle davantage 43 ans que 42, mais la ville ne supporte pas qu’on la tienne pour vieille. Les protestations spontanées, répétées, véhémentes, émanent de ceux qui se sentent ou sont en passe de se sentir visés, et confirment naturellement la triste réalité. À coup sûr, elles ne touchent pas les jeunes qui se rassemblent autour de leurs motos à la jonction entre le viale dell’ Aquedoto et i portici di Chiozza, et pour qui toute personne ayant dépassé la quarantaine présente un visage anonyme, est peut-être un feu éteint. L’orgueilleuse ivresse de leurs jeunes années ne leur permet pas de se considérer comme une minorité.

Traduit de l’italien par Marie-José Tramuta.

E’ triste invecchiare in una città di vecchi

A Trieste un abitante su tre, forse su due e mezzo, é pensionato, l’età media si avvicina più ai 43 che 42 anni, ma la città non sopporta di venire stimata vecchia. Le proteste immediate, insistite, colleriche, provengono da quanti si sentono o stanno per sentirsene toccati, e naturalmente confermano la triste realtà. Non sfiorano di certo i ragazzi che si raccolgono a capannelli intorno alla moto nello slargo tra il viale dell’Aquedoto e i Portici di Chiozza, per i quali ogni persona che abbia superato la quarantina ha una faccia anonima, è forse una lampada spenta. La fierezza ebbra dei loro pochi anni non permette loro di vedersi una minoranza.