Extrait Conte Manuscrit de Saint-Nazaire

Giuseppe CONTE
Le manuscrit de Saint-Nazaire
traduit de l’italien par Jean-Baptiste Para
ISBN 2-903945-45-8
1989
9 €

Première partie

Dialogue des grues et du vent

Le vent descendait chaque nuit dans le port de Saint-Nazaire. Il passait par la plage noire, soulevait le sable noir, déchaînait des tourbillons d’algues et de coquillages, puis il enjambait les môles, franchissait l’écluse en jetant un regard de défi au pont levant – un jour ou l’autre c’est moi qui te hausserai, semblait-il dire – et il entrait dans le bassin. Il lui plaisait de s’amuser sur ce rectangle d’eau étale, qui ne connaissait ni vagues ni marées : il le rayait de gerçures, creusait des sillons qui naissaient convulsivement l’un derrière l’autre, comme pour obéir à ses ordres. Enfin il posait le pied – lui qui à vrai dire en était dépourvu, et qui n’avait pas non plus de mains, bien que parfois il eût tout l’air d’un vagabond au large manteau et aux brodequins fers, il posait le pied sur les quais, au bord des hangars, et là il rencontrait les grues.
Nul ne le savait, nul ne le sait, parce que la nuit, dans le port de Saint-Nazaire, il ne descend personne d’autre que le Vent. Mais toujours les grues l’attendaient pour lui parler.
Elles étaient nombreuses, un peuple au grand complet. Et la nuit, avant que le Vent vienne, une étrange et lancinante mélancolie s’emparait d’elles. Elles restaient là muettes, presque renfrognées, roides et fixes, placées un peu au hasard. Certaines étaient droites, tranchantes, pointées vers le zénith comme des obélisques, d’autres avaient l’énigmatique majesté de tours et de gratte-ciel inhabitables, d’autres encore affichaient une puissance de lanceurs de fusées. Pareilles à des télescopes aveugles, d’aucunes s’inclinaient vers la voûte du ciel, d’autres s’ouvraient en V au point de ressembler à des conques, ou à des boomerangs. Les plus vieilles et les plus grandes laissaient leurs jambes d’acier reposer sur des rails : leur profil était celui de pyramides larges et basses, à moins de former des enfourchures dont les éléments se rejoignaient au sommet, telles des béquilles que des géants blessés auraient abandonnées là. Les plus jeunes et les plus frêles, agiles à l’égal des ballerines mais aussi imperturbables que des statues, étendaient loin leurs bras horizontaux, pour signaler on ne sait quoi. Le Vent les connaissait toutes, et il s’attardait volontiers pour parler avec elles.

traduit de l’italien par Jean-Baptiste Para

Parte prima

Dialogo delle gru e del vento al porto di Saint-Nazaire

Il vento scendeva tutte le notti al porto di Saint-Nazaire. Passava dalla spiaggia nera, sollevava la sabbia nera e faceva vortici di conchiglie e di alghe, poi scavalcava i moli, superava la chiusa gettando un’occhiata di sfida al pont levant – ti solleverò io, un giorno o l’altro, sembrava dire – e entrava nel bacino. Come si divertiva, su quella distesa d’acqua rettangolare e uniforme, che non conosceva né onde né maree, quando la rigava, la scavava in solchi, che scattavano uno dietro l’altro, convulsi, come per obbedire ai suoi ordini. Infine metteva piede – lui che piedi non ne aveva, in realtà, né mani, eppure alle volte lo sembrava, un viandante dal mantello largo e dagli stivali chiodati – metteva piede sulle banchine, tra gli hangar, e lì incontrava le Gru.
Nessuno lo sapeva, nessuno lo sa, perché la notte al porto di Saint-Nazaire nessun altro ci scende che il Vento. Ma le Gru lo aspettavano sempre per parlargli.
Erano tante, un popolo intero. E la notte, prima che il Vento arrivasse, una strana, insonne malinconia le prendeva. Se ne restavano lì mute, immusonite, quasi, ferme ferme, un po’ come capitava. Certe erano ancora ritte, affilate, puntate allo zenith come obelischi, altre maestose e enigmatiche come torri e grattacieli inabitabili, altre possenti come vettori di razzi. Certe stavano inclinate verso la volta del cielo simili a dei telescopi ciechi : altre aperte a v, ma tanto aperte da assomigliare a conche, o a boomerang. Le più vecchie e grandi poggiavano le loro gambe d’acciaio sulle rotaie : certe disegnavano il profilo di larghe e basse piramidi, altre si biforcavano e si riunivano alla sommità, come stampelle di giganti feriti abbandonate lì. Le più giovani e minute, agili come danzatrici ma immobili come statue, stendevano le loro braccia orizzontalmente, lontano, come per segnalare chissà che cosa.
Il Vento le conosceva tutte, ormai ; e si fermava volentieri a parlare con loro.
Diventavano curiose, loquaci, appena arrivava lui, appena lo sentivano. « Raccontaci dei tuoi viaggi » dicevano. E poi si lamentavano un po’ « ci vedi, noi viviamo sulle banchine, costruiamo le navi, le carichiamo, le scarichiamo, ma poi tu parti con loro per il largo, e noi restiamo qui ».