Extrait Felipe TROYA

Les écureuils
Roman traduit de l’espagnol (Équateur) par Françoise Garnier
ISBN : 979-10-95145-05-9
202 pages
2016

Extrait :

Éphémérides

Assis sur son banc à bascule, mon oncle Fernando braquait ses impressionnantes jumelles sur le mur d’arbres qui isolaient le jardin et la piscine. Il prenait tant de place sur le banc, qui pouvait accueillir deux personnes, que je devais m’asseoir à côté sur une chaise. Tenir l’énorme étui de cuir et le regarder examiner les arbres n’avait pas pour moi grand intérêt, mais si je lui tenais compagnie et l’écoutais papoter un certain temps, il me prêtait ses jumelles et me laissait inspecter le bois. Le bois ne m’intéressait pas davantage, pas plus que sa vie exubérante et secrète pendant l’été. Ce qui m’intéressait vraiment, c’était de les placer devant mes yeux et de sentir ma vue s’étirer, presque physiquement, jusqu’aux arbres, de presque la sentir toucher une carte postale sans relief mais grouillante d’écureuils, de moineaux, de faucons et de chevreuils qui, sans grande timidité, franchissaient la limite entre ce qui était forêt et ce qui ne l’était plus.

Par contre, mon oncle avait lui d’autres raisons de le faire. La forêt était à ses yeux une fable et il pouvait passer des heures à suivre la vie et les agissements exemplaires des animaux.

—  Les écureuils, me disait-il, sont des animaux merveilleux. Dommage que nous n’en ayons pas en Équateur. On a beaucoup à apprendre d’un écureuil.

Il me tendit les jumelles et m’indiqua dans quelle direc-tion regarder. Il y en avait deux et ils étaient
fâchés. Ils apparaissaient et disparaissaient entre les feuilles, l’un derrière l’autre, détalant le long d’un gros tronc. Le plus grand montrait les dents et poursuivait l’autre à toute vitesse. Le premier bifurqua vers les branches et quand l’arbre commença à fléchir sous son poids, il sauta et atterrit, dans un seul mouvement fluide, sur l’arbre voisin. L’autre fit de même et ils continuèrent leur jeu ou bagarre, je n’aurais su dire. C’étaient des sortes d’elfes, ces écureuils, et ils faisaient partie de ce qui m’étonnait et me révélait qu’il y avait vraiment une différence entre mon environnement en Équateur et cet endroit. J’étais sous leur charme, tout comme mon oncle. Ce qui me plaisait moins, c’était de l’entendre papoter dès qu’il les voyait.

—  On dirait des rats avec une queue, dis-je.
—  Tout comme nous qui sommes des rats sans queue. Mais eux, ils passent leurs journées à ramasser des noix et à les entreposer dans leurs maisons, ce que nous ne faisons pas, alors que nous le devrions. Si on pouvait les voir de plus près, on les comprendrait mieux. Si on prend le temps de les regarder, ce qu’on découvre c’est leur intimité.
—  Leur intimité ? demandai-je, leurs histoires d’amour ?
—  Je suis désolé de t’apprendre que les écureuils n’ont pas d’histoires d’amour. Ils travaillent, mangent, dorment et ensuite ils remettent cela.

Avec plus de culot, ce culot qui me manquait toujours lorsque je m’adressais à mon oncle, je lui aurais dit que c’était là sans doute son cycle à lui, Fernando Flores. Que s’il s’aventurait dans le bois et entrait dans la maison des écureuils, il verrait sans doute les choses différemment.
Il m’ôta les jumelles des mains et les rangea dans leur étui en cuir.

—  Bon, je m’en vais, dit-il, j’ai beaucoup à faire. Il faut que j’aie une discussion avec Josh.

***

Le lendemain, c’était l’anniversaire de son petit-fils et, comme chaque année, mon oncle ne serait pas
présent-. Pour se faire pardonner son absence, il essayait de lui expliquer la situation. Il lui expliquait qu’avoir une entreprise c’était une responsabilité énorme, particulièrement une entreprise à laquelle on avait tant donné. « C’est comme avoir un enfant de plus, » disait mon oncle à un gamin de neuf ans. « Un jour tu comprendras tout cela, parce qu’un jour, tu seras l’héritier de l’Empire Familial. » C’était là le nom extravagant que Fernando donnait à son entreprise d’installation et d’entretien de piscines  : Empire Familial.

—  Qu’est-ce que tu vas me donner comme cadeau ? répondit Josh. À son jeune âge, il semblait déjà comprendre ce qu’était le chantage.
—  Tu ne peux pas me poser cette question, c’est une surprise. Mais ça va te plaire.

Efemérides

Sentado en su banca mecedora, mi tío Fernando apuntaba sus binoculares, un aparato gigantesco, hacia la pared de árboles que forraban el margen del jardín y la piscina. Ocupaba tanto de la banca, suficientemente grande como para dos personas, que yo tenía que sentarme en una silla a un lado. Sostener el inmenso estuche de cuero y verlo examinar los árboles no me interesaba demasiado, pero si lo acompañaba y lo escuchaba parlotear lo suficiente, me prestaba los binoculares y me dejaba inspeccionar el bosque. El bosque tampoco me interesaba tanto, ni su vida pululante y oculta de verano. Lo que a mí me interesaba era ponérmelos y sentir cómo mi mirada se extendía, casi físicamente, hasta los árboles, cómo casi tocaba con los ojos una postal plana pero animada de ardillas, gorriones, halcones y venados que sin mayor timidez cruzaban la barrera entre lo que era bosque y lo que dejaba de serlo.
Mi tío, en cambio, lo hacía por otras razones. El bosque era como una fábula para él, y podía pasarse horas siguiendo la vida y los actos ejemplificadores de los animales.
–Las ardillas –me decía– son animales maravillosos. Lástima que no las tengamos en el Ecuador. Hay mucho que aprender de una ardilla.
Me pasó los binoculares y apuntó hacia dónde mirar. Eran dos y estaban molestas. Aparecían y desaparecían entre las hojas, una detrás de la otra, correteando en un gran tronco. La más grande enseñaba los dientes y corría detrás de la otra a toda velocidad. La perseguida se desvió hacia las ramas y cuando el árbol comenzó a ceder bajo su peso saltó y aterrizó, en un solo movimiento fluido, en el árbol vecino. La otra hizo lo mismo y continuaron el juego o la pelea, no supe exactamente cuál. Eran como hadas, las ardillas, parte de lo que me asombraba y me hacía pensar que realmente había una diferencia entre mi entorno en el Ecuador y ese lugar. Me encantaban, como a mí tío. Lo que me gustaba menos era cómo él se ponía a parlotear cuando las veía.
–Parecen ratas con cola –dije.
–Nosotros también. Ratas sin cola. Pero ellas se pasan recogiendo nueces todo el día y las guardan en sus casas. Eso no hacemos nosotros, aunque deberíamos. Si las podríamos ver más de cerca, las entenderíamos mejor. Es su vida íntima lo que se descubre, si uno se detiene a verlas.
–¿Vida íntima ? –pregunté– ¿Sus romances ?
–Lamento decirte que las ardillas no romancean. Trabajan, comen, duermen, y luego repiten.
Con más agallas, las que siempre me faltaban para hablar con mi tío, le habría dicho que ese era probablemente su ciclo, el de Fernando Flores. Que si ingresaba al bosque y entraba a la casa de las ardillas, la cosa probablemente habría sido distinta.
Me sacó los binoculares de las manos y los guardó en su estuche de cuero.
–Bueno, me voy –dijo–, tengo demasiado que hacer. Tengo que hablar con el Josh.

***

El día siguiente era el cumpleaños su nieto y, como todos los años anteriores, mi tío no iba a estar presente. Para compensar su ausencia, trataba de hablar con él y explicarle lo que pasaba. Le explicaba que una empresa era una responsabilidad ineludible, especialmente una empresa a la que uno había dado tanto. « Es como tener un hijo más, » le decía mi tío a un niño de nueve años. « Algún día entenderás todo esto, porque algún día serás el heredero del Imperio Familiar.” Ese era el increíble nombre que Fernando le daba a su empresa de instalación y mantenimiento de piscinas : Imperio Familiar.
–¿Qué me vas a dar de regalo ? –respondió Josh. A su temprana edad ya parecía entender lo que era el chantaje.
–No me puedes preguntar, es una sorpresa. Pero te va a gustar.