La reine de coeur
Joanna LAURENS
La reine de coeur
traduit de l’anglais par Jean-Pierre RICHARD
ISBN 978-2-911686-78-8
2011
1
Une maison de campagne isolée, en temps de guerre – une guerre qui ne s’est accompagnée d’aucune action dans cette zone. Des forces d’occupation vivent dans cette maison, dont les habitants d’origine ont fui, depuis longtemps. Ces forces d’occupation ont pour chef le Père ; Mann est le commandant en second. Le Père a amené son Serviteur avec lui et, bizarrement, sa fille, la Jeune fille.
Une étagère, remplie de livres. La photo/ Le tableau d’une femme. Une grande table recouverte de schémas et de cartes. Le Chœur et Mann sont groupés autour de cette table, bien qu’ils ne regardent pas les schémas. Ils sont en uniforme militaire.
Tout le monde crie et on a une impression de bruit incompréhensible. Le Chœur lance à Mann des cris accusateurs simultanés : « vous l’avez fait », « c’était vous », « vous les avez tués », « traître ». Mann nie tout : « non », « non, ce n’est pas moi », « non, je n’en suis pas un ».
En bout de table, isolée et à l’écart des hommes qui se disputent, se trouve la Jeune fille. Elle semble faire ses devoirs et ne prête aucune attention au bruit : pas une fois au cours de l’échange qui suit elle ne lève les yeux.
Le Serviteur attend, impassible et muet. Il tient un plateau d’argent où sont des verres étincelants, remplis de vin. Il regarde droit devant lui et se tient à l’écart.
Entre le Père. En signe de respect le Chœur et Mann se taisent.
Le Père lance à Mann un regard interrogatif.
Mann. – Chef !
J’obéissais aux ordres.
Dans la cour en bas, il m’a jeté une pomme.
Attrape ! il a dit. Alors j’ai attrapé.
Mais ce n’était pas une pomme.
Je l’ai rebalancée comme une patate chaude.
Je n’ai pas vu où c’est allé.
J’y ai simplement perçu des reflets.
J’en ai simplement vu l’arc ondoyer dans le noir.
J’ai simplement entendu la paille bouger quand c’est retombé.
Puis l’explosion.
Un membre du chœur. – Il ment.
Mann. – Je le jure.
Un membre du chœur. – Il savait.
Mann. – Je le jure.
Un membre du chœur. – Il l’a fait sciemment.
Mann. – (au Père)
Quand il a dit « Attrape ! »,
J’ai cru que c’était vous.
J’obéissais aux ordres
Un membre du chœur. – (au Père)
Chef, vous ne ressemblez pas du tout à ce gamin.
Mann. – Je ne l’ai pas vu.
J’ai seulement entendu sa voix.
Un membre du chœur. – Traître.
Mann. – (réfléchissant, essayant de comprendre)
Attrape ! il a dit.
Très doucement, sans rien de pressant.
Presque comme une invitation à jouer : « T’attrapes ? »
Et aussitôt le truc qui arrive, pleine face.
Le Père. – Tu as cru que lui, c’était moi :
j’ai la même voix que lui.
Mann. – Oui.
Un membre du chœur. – Chef, c’est un gamin !
Mann. – Oui.
Un membre du chœur. – Le culot !
traduit par Jean-Pierre RICHARD
One
An isolated country house during a war – a war which has not led to any action in this area. Occupying forces live in this house, whose original inhabitants have, long ago, fled. These occupying forces are led by Father, with Mann as second-in-command. Father has brought his Servant with him and, strangely, his daughter ; the Girl.
A bookshelf, filled with books. A picture/painting of a woman. A large table, covered with plans and maps. The Chorus and Mann are crowded around this table, although they are not looking at the plans. They wear military uniforms.
Everyone is shouting and the impression is of incomprehensible noise. The Chorus is accusing Mann with simultaneous cries of “you did it”, “it was you”, “ you killed them”, “traitor”. Mann is denying everything with “no”, “no, I didn’t”, “no I’m not”.
At one end of the table, isolated and away from the arguing group, is the Girl. She seems to be doing her schoolwork and takes no notice of the noise, not looking up once throughout the following.
The Servant waits, impassive and still. He holds a silver tray with shining glasses full of wine. He stares straight ahead and stands apart.
Enter Father. The Chorus and Mann fall silent in respect.
Father looks at Mann, questioningly.
Mann. – Sir.
I was following orders.
In the courtyard below, he threw me an apple.
Catch, he said. So I caught.
But it wasn’t an apple.
I threw it away like a hot potato.
I didn’t see where it went.
I just caught the light refracted off of it.
I just saw it fluxing against the dark.
I just heard the straw move when it fell.
And then the blast.
C Member. – He lies.
Mann. – I swear.
C Member. – He knew.
Mann. – I swear.
C Member. – He meant to do it.
Mann. – (to Father)
When he said “catch”,
I thought he was you.
I was following orders.
C Member. – (to Father)
Sir, you look nothing like the boy.
Mann. – I didn’t see him.
I only heard his voice.
C Member. – Traitor.
Mann. – (thinking, trying to make sense)
Catch, he said.
Quite softly, he was not at all urgent about it.
Almost, it was an invitation to play : “Catch ?”
And then the thing flying at my face.
Father. – You thought he was me :
I sound like him.
Mann. – Yes.
C Member. – Sir, he is a boy !
Mann. – Yes.
C Member. – Bloody cheek.