Extrait Edwin MADRID


Au Sud de l’équateur
poèmes traduit de l’espagnol (Équateur) par Françoise Garnier
ISBN : 979-10-95145-01-1
2016
200 pages

Extrait :

En lisant Celan sur le pont Mirabeau

Pour Sheyla Bravo, amie toujours

J’étais à Paris, la ville des poètes,
quand j’ai su pour toi  :
un vers long, lourd et froid
s’est noué dans ma gorge.
Je voulais pleurer et je ne pouvais.
Un violent sanglot m’a échappé
pour se perdre dans le murmure
des terrasses de cafés.
Le ciel de Paris devenu une masse blafarde
et grise qui m’enfonce dans mes remords  :
Pourquoi ne pas t’avoir dit au revoir ?
Je n’ai pu te dire que j’allais à Paris
écrire des poèmes d’amour,
comme si l’amour appartenait aux villes.
Toi qui as prodigué tant d’amour à mes poèmes
et moi incapable de dire au revoir.
Combien m’a peiné Notre-Dame et ses immenses voûtes
et chaque rosace où je te voyais tout en évitant
les petits Japonais attentifs ? Je suis donc sorti de l’église
et je suis tombé sur la Seine où je t’ai revue aux côtés
du cadavre perdu de Paul Celan.
Quelle beauté ! Vous deux dérivant sur les eaux du fleuve
avant de disparaître. C’était La Fugue de la mort.
Et ainsi je t’ai pleuré,
c’était ma façon interloquée d’apprivoiser la nouvelle.

Les demoiselles de Ballenberg

Imaginons une route en Suisse,
sur la route une auto rouge
et à l’intérieur trois Suissesses rieuses,
deux sur la banquette arrière
et une autre au volant, à côté de moi.

Elles trois ont leurs plans à elles
et je soupçonne que j’en fais partie.

Imaginons que nous sommes
sur la route de Zurich à Ballenberg,
les Suissesses me signalent qu’il fait bien beau
et que j’ai bien de la chance.

—  Regarde le lac des Quatre-Cantons, dit l’une.
Il est grand et bleu comme ses yeux.
L’autre parle des Alpes qui apparaissent au loin
et sa compagne se penche vers ce paysage.
Mon cœur s’illumine en leurs présences. Ce sont trois
Suissesses qui veulent s’éclater.

Ma ceinture de sécurité est attachée et dans le virage
un groupe de Japonais contemple le lac.
Ballenberg est au-delà des collines de Itzburg
mais l’auto rouge lui tourne le dos. J’ai revu
les Japonais, dis-je et nous avons ri longuement.

Celle qui tient le volant me regarde troublée
et met la voiture dans la bonne direction.
Celles de derrière se moquent de moi et ne cessent de rire.

J’ai mon plan à moi  :
quand nous arriverons à Ballenberg
je choisirai la maison avec le toit à six pans
je fermerai les portes avec sept clés
je me réveillerai à huit heures
sans me soucier d’aucune demoiselle suisse.

Mexico

De là-haut, un océan de lueurs palpitantes
jusqu’à ce que l’avion plonge dans ses eaux et c’est
la mer qui déferle dans le métro, traversant des places,
suivant les avenues ou s’engouffrant dans les bars.
C’est là qu’ensemble, ils vivent les uns les autres.
La grande ville crache ou avale les gens.

Leyendo a Celan sobre el puente Mirabeau

a : Sheyla Bravo, amiga siempre.

Estaba en París, la ciudad de los poetas,
cuando me llegó tu noticia :
Un verso largo, pesado y frío
se hizo nudo en mi garganta.
Quería llorar y no podía.
Solo un fuerte gemido se me escapó
para mezclarse entre el murmullo
de las terrazas de los cafés.
El cielo de París convertido en una bola macilenta
y gris aplastándome en mi remordimiento :
¿Por qué no fui a despedirme ?
No llegué a decirte que iba a París
a escribir poemas de amor,
como si el amor fuera de las ciudades.
Tú que tanto amor prodigaste a mis poemas
y yo sin alcanzar a despedirme.
Cómo me dolió Notre Dame, sus bóvedas altísimas
y cada rosetón donde te veía mientras esquivaba
asiduos japonesitos. Por eso salí de la iglesia
y fui a dar al Sena donde volví a verte junto
al cadáver perdido de Paul Celan.
¡Qué lindo ! Los dos alejándose con las aguas del río
hasta perderse de vista. Era la Muerte en fuga.
Y ese fue mi llanto,
mi manera desconcertada de apaciguar tu noticia.

Las suizas de Ballenberg

Imaginemos una carretera en Suiza,
sobre la carretera un auto rojo
y dentro tres suizas riéndose ;
dos en el asiento de atrás
y otra al volante, junto a mí.

Las tres tienen sus propios planes
y sospecho que me incluyen.

Imaginemos que estamos
en la ruta Zürich-Ballenberg,
las suizas me advierten del buen clima
y de mi buena suerte.

Mira el lago de los Cuatro Cantones –dice una–.
Es grande y azul como sus ojos.
Otra habla de los Alpes que aparecen al fondo
y su compañera se inclina sobre ese paisaje.
Mi corazón brilla con sus presencias. Son tres
suizas que quieren salir volando.

Yo llevo cinturón de seguridad y en la curva
un grupo de japoneses contempla el lago.

Ballenberg está pasando las colinas de Itzburg
pero el rojo auto va en sentido contrario. He vuelto
a ver a los japoneses –digo– y reímos sin parar.

La que va al volante me mira emocionada
y coloca al auto en dirección correcta.
Las de atrás me toman el pelo y siguen riendo.

Yo tengo mi propio plan :
Cuando lleguemos a Ballemberg
elegiré la casita con techo a seis aguas
cerraré las puertas con siete llaves
y despertaré a las ocho
sin que me importe una sola suiza.

México

Desde arriba, un océano de lucecitas palpitantes
hasta que el avión se hunde en sus aguas y es el
mar con oleadas en el metro, cruzando plazas,
yendo por avenidas o metiéndose en los bares.
Allí conviven chatos y tachos.
La gran ciudad escupe o traga gente.