Extrait de Figure du souvenir

Anna KIM
Figure du souvenir
Traduit de l’allemand (Autriche) par Maryse Jacob et Camille Luscher
ISBN 978 2 911686 74 0
2011
15 €

Archives

Imagine : un monde parallèle dans lequel les souvenirs ne dureraient que jusqu’au prochain sommeil. Le lendemain matin, tout est oublié.
Tout ?
Tout.
Le jardin de la famille Fisch est situé entre trois parkings de plusieurs étages. En hiver comme en été, la lumière peine à s’infiltrer dans le jardin, Anuschka Fisch a été tentée de tapisser les murs des garages de ciel et de nuages, et en effet, un bout de papier est collé dans un coin à l’abri des regards. La fête a lieu la nuit, toujours la nuit, des lampions brillent au milieu du jardin et de l’eau clapote sur les tables et s’écoule dans l’herbe. Elle dit : le lendemain, tu es littéralement une nouvelle personne.
Et les amis, on se souvient des amis ?
Probablement pas.
Et la propriété ?
Jan demande si la notion de propriété existe, en arrière-fond, le bourdon des moustiques et des enfants en ronde, la chaleur et les poubelles s’amoncellent. La propriété, dit Anuschka, n’existe pas, tout appartient à tout le monde.
Tout le monde appartient à tout le monde, ou à personne. Il n’y a pas de relations de parenté, il n’y a que des individus.
Pas de mère, pas de père ?
Pas de frère ni de sœur. Pas d’amis. C’est chacun pour soi.
Une odeur de grillé, mélangée à celle de l’essence et des gaz d’échappement, est suspendue dans l’air. L’herbe est sèche, jaune ou brune, quelques taches sablonneuses, mais au bord et sous les arbustes, plus verte, plus jeune, pas vraiment un jardin en fait, plutôt un terrain vague. Il n’y a ni politique ni économie. On mange ce qui a été produit hier ou avant-hier. On produit surtout pour s’occuper. Pour que les gens n’oublient pas de produire, des affiches sont collées aux murs des maisons, par exemple : Fais ton pain maintenant, pas plus tard.
Maintenant, pas plus tard ?
On connaît « plus tard », on ne connaît pas « demain », puisque seul le futur immédiat existe. Le futur immédiat, c’est le présent.
On connaît « plus tard », on ne connaît pas « demain », puisque seul le futur immédiat existe. Le futur immédiat, c’est le présent.
Le tintement des verres, un hélicoptère au-dessus des toits, le miaulement d’un matou résonnent sur les murs. Les premiers prennent congé, les enfants dans les bras et le chien en laisse, Jan fait un signe de la main.
Attends, dit Anuschka Fisch.
Attends. L’histoire continue. Une nuit, Quelqu’un ne peut pas dormir. Il passe des heures couché sans fermer l’œil et finalement il reste éveillé la nuit entière. Le lendemain, il se souvient. Il peut se souvenir de la veille. Il se souvient des gens, se souvient des activités, de tout le déroulement du jour d’avant.
Du coin de l’œil, Anuschka Fisch voit que des photos sont prises, les invités se regroupent sous plusieurs lampions, on prend la photo, sans flash, encore une, avec flash cette fois, trop loin, pense-t-elle, ils sont trop loin.
Le jour d’après non plus, Quelqu’un ne peut pas dormir. Quelqu’un rassemble des souvenirs. Bientôt, il commence à se faire du souci pour ses souvenirs, il craint de les perdre, devait-il ne dormir qu’une seule nuit
N’y a-t-il donc aucun souvenir qu’il accepterait volontiers de perdre ?
Aucun.
Mais n’est-ce pas un privilège de vivre chaque jour comme si c’était le seul et l’unique ?
Il le ressent comme un privilège de bien courte durée.
C’est-à-dire ?
Il remarque que ce sont les souvenirs qui donnent un sens à sa vie. Il commence à tenir un journal pour conserver ses souvenirs. Une nuit cependant, il s’endort. Le lendemain, il a tout oublié. Alors il découvre le journal où il a consigné les événements de la semaine précédente. Même s’il ne comprend pas tout, même si pas mal de choses échappent à son interprétation ou qu’il les interprète mal, ce journal est pour lui un véritable cadeau.

Traduit de l’allemand (Autriche par Camille Luscher)

Das Archiv
Stell dir vor : Eine parallele Welt, in der Erinnerungen nur bis zum nächsten Schlaf halten, am folgenden Morgen hat man alles vergessen.
Alles ?
Alles.
Der Garten der Familie Fisch liegt zwischen drei Parkhäusern. Licht fällt im Sommer und Winter spärlich, Anuschka Fisch war versucht, die Mauern der Garagen mit Himmel und Wolken zu tapezieren, tatsächlich klebt in einer verborgenen Ecke ein Stück Papier. Das Fest ist nachts, immer nachts, Laternen glühen in der Mitte des Gartens, und Wasser plätschert von den Tischen ins Gras. Sie sagt, am nächsten Morgen sei man wortwörtlich ein neuer Mensch.
Freunde, erinnert man sich an Freunde ?
Vermutlich nicht.
Was ist mit Besitz ?
Jan fragt, ob es Besitz gebe, im Hintergrund surren Mücken und Kinder im Kreis, es stauen sich Hitze und Müll. Besitz, sagt Anuschka, gebe es nicht, jedem gehöre alles.
Jeder gehört zu allen oder keinem. Es gibt keine Verwandtschaftsverhältnisse, es gibt nur Individuen.
Keine Mutter, keinen Vater ?
Keine Brüder oder Schwestern. Keine Freunde. Jeder ist auf sich gestellt.
Der Geruch nach Gegrilltem, vermischt mit Benzin und Abgasen, hängt in der Luft. Das Gras ist trocken, gelb oder braun, einzelne sandige Flecken, doch an den Rändern und unter den Sträuchern grüner, jünger, kein Garten eigentlich, eher ein unbebautes Tal.
Es gibt weder Politik noch Wirtschaft. Gegessen wird, was gestern oder vorgestern produziert wurde. Produziert wird vor allem, um beschäftigt zu sein. Damit nicht vergessen wird, zu produzieren, kleben an den Mauern der Häuser Plakate, zum Beispiel : Backe lieber jetzt als später.
_Backe lieber jetzt als später ?
„Später“ kennt man, „morgen“ kennt man nicht, da nur die unmittelbare Zukunft existiert. Die unmittelbare Zukunft ist die Gegenwart.
Das Klirren von Glas, ein Hubschrauber über den Dächern, der Gesang eines Katers hallt von den Wänden. Die Ersten verabschieden sich mit Kindern im Arm und Hund an der Leine, Jan winkt.
Warte, sagt Anuschka Fisch.
Warte. Die Geschichte geht weiter. Eines Nachts kann Einer nicht schlafen. Er liegt Stunden wach, schließlich wacht er die ganze Nacht. Am nächsten Tag kann er sich erinnern. Er erinnert sich an den Vortag. Erinnert sich an die Menschen des Vortags, erinnert sich an die Tätigkeiten, den Ablauf.
Aus dem Augenwinkel sieht Anuschka Fisch, dass Fotos gemacht werden, Gäste gruppieren sich um mehrere Laternen, man drückt ab, ohne Blitz, drückt ein zweites Mal ab, diesmal mit Blitz, zu groß, denkt sie, die Entfernung ist zu groß.
Auch am nächsten Tag kann Einer nicht schlafen. Einer sammelt Erinnerungen. Bald fürchtet er um sie, fürchtet, sie zu verlieren, schläft er auch nur eine Nacht.
Gibt es keine Erinnerungen, die er gerne verlieren würde ?
Keine.
Ist es nicht eigentlich ein Privileg, jeden Tag wie den einzigen leben zu können ?
Er empfindet es als ein Privileg von nur kurzer Dauer.
Inwiefern ?
Er bemerkt, dass es die Erinnerungen sind, die seinem Leben Zusammenhänge schenken. Er beginnt, ein Tagebuch zu führen, um diese Erinnerungen festzuhalten. Eines Nachts jedoch schläft er ein. Am nächsten Tag hat er alles vergessen. Da entdeckt er sein Tagebuch, in dem die Ereignisse der letzten Woche aufgezeichnet sind. Obwohl er nicht alles versteht, sich vieles seiner Deutung entzieht und vieles von ihm falsch gedeutet wird, erscheint es ihm wie ein Geschenk.

Traduction

Maryse Jacob pour les nouvelles :
Vestiges d’images / Biderspuren
Greffes de doigts / Fingerpflanzen
Figure du souvenir / Die Form der Erinnerung

Camille Luscher pour les nouvelles :
Archives / Das Archiv
Les dents / Die Zähne
La lettre de Stein / Ein Brief von Stein