Extrait revue meet n°06

New Delhi / Bucarest

PREMCHAND

Les joueurs d’échecs

C’était l’époque de Wajid Ali Shah. Lucknow était plongé dans la débauche. Jeunes et vieux, pauvres et riches, tous s’adonnaient aux plaisirs. Pour tuer le temps, les uns organisaient des bals, d’autres se réunissaient pour fumer ou boire allégrement l’opium. Une certaine léthargie avait envahi toutes formes de vie sociale : l’administration, l’art, la littérature, l’industrie, et la vie mondaine. Les fonctionnaires baignaient dans le luxe ; les poètes chantaient les peines de l’amour ; et les artisans s’employaient à fabriquer parures, parfums et pigments. Bref, tout un chacun se consacrait à la volupté, oublieux du monde, de son fonctionnement et ses besognes. On pariait sur les combats de cailles et de perdrix. Les gens s’étaient pris de passion pour les échecs et les jeux de cartes. Du prince au plus démuni des pauvres, tous étaient emportés dans ce tourbillon ; à tel point que les mendiants, s’ils recevaient en aumône quelque argent pour l’achat de pain, le dépensaient en opium. Les jeux tels que les échecs sont des pierres à aiguiser pour l’intellect des joueurs, qui peu à peu prennent l’habitude de résoudre les problèmes les plus complexes. Le pour et le contre sont posés de façon limpide et raisonnée. (De nos jours, encore, bon nombre de personnes s’y adonnent.)

Traduit de l’hindi par Gurdial malik / Traduit de l’anglais par Nicolas Carver

GABRIELA ADAMESTEANU

Rue Coriolan

Autrefois, si elle avait dû rester là des journées de suite sans sortir, elle aurait cru que le plafond allait lui tomber sur la tête. Elle s’arrangeait toujours pour décamper. Un jour chez l’un, le lendemain chez l’autre, elle faisait sa tournée, elle ne rentrait de nulle part les mains vides, sans compter qu’elle causait, apprenait les derniers potins, parce que sinon, passer tout son temps avec son muet de mari, ce serait à se flinguer. Eux deux, ils n’ont jamais rien eu à se dire et puis, d’ailleurs, de quoi parler avec son homme ?

Traduit du roumain par Alain Paruit

Strada Coriolan

Altădată, să fi stat ea aşa, zile întregi, fără să iasă, i sar fi părut că îi cade casa în cap. Făcea ce făcea, şi-o pornea din loc. Îi lua la rând, o zi la ăla, o zi la ăla, de nicăieri nu se întorcea cu mâna goală, mai şi schimba o vorbă, mai afla una-alta, că tot să stai cu mutu ăsta de om îţi vine să îţi iei câmpii. Niciodată n-a avut cu el ce vorbi şi, pe urmă, ce să vorbeşti cu bărbatu ?