Extraits revue meet n°02

Skopje / Montevideo

VLADA UROSEVIC

Ovide ; l’exil

Il se plaint de ce que la mer est depuis des mois prise par les glaces ;
de ce que les barbares arrivent sous les remparts de la ville.
Durant le bref été, entre deux neiges,
il écrit des lettres où il supplie, implore et s’abaisse
puis, de nouveau l’hiver arrive, l’arbre craque dans la forêt.
À Rome, lit-on ses lettres ? Les fonctionnaires
moroses le rudoient. Nul ne sait pourquoi il a été envoyé là.
La faute a peut-être été oubliée, mais le pardon attendu
ne vient pas. Les vaisseaux sont rares et le voyage
à travers les montagnes balkaniques est dur et dangereux.
Il rêve de Rome scintillante sous l’or du soleil
alors qu’autour de lui le siège se resserre toujours plus.
Aurait-il lu le destin d Auguste dans une omoplate de bélier ?
Aurait-il dit quelque chose d’inconsidéré ? Peu importe. Il sait
que pour avoir le sentiment que sa ville natale brille, inaccessible,
comme en rêve, tout acte est prétexte à une faute.

Traduit du macédonien par Harita Wybrands.

MIGUEL ANGEL CAMPODONICO

L’invention du passé

Ils auront une vie nouvelle, riche d’un avenir prospère à portée de main, ces Italiens que je ferai venir par hasard à Montevideo. Napolitains délurés, séduits par l’idée de poursuivre leurs aventures dans un monde qui était en train de naître, ils s’embarqueront avec comme dernière destination la ville de Lima, comme ils l’apprendront une fois montés à bord, alors qu’ils fuyaient l’Italie pourchassés par une victime influente de leurs escroqueries. Mais ils verront sombrer le rapide navire espagnol dans lequel ils voyageaient et alors qu’ils étaient déjà agenouillés à fond de cale, prêts à se vider sous l’effet du spasme provoqué par la terreur d’une mort toute proche, au moment même où ils auraient voulu prier pour se repentir des vies qu’ils avaient menées, quelqu’un criera « terre ! », sans qu’aucun d’entre eux pût croire au miracle. Cependant, au travers de l’épais brouillard du Rio de la Plata un monticule bas et trapu se découpera bientôt et sa forme aura l’air aux yeux des naufragés d’un guide merveilleux, et le bateau parviendra à accoster et à jeter l’ancre, avec une gîte ridicule, dans un port incroyablement abrité.

Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Françoise Garnier.

Invención del pasado

Tendrán una vida nueva, llena de rico futuro al alcance de la mano, estos Italianos que haré llegar por casualidad a Montevideo. Buscavidas napolitanos, tentados por la fantasía de continuar sus aventuras en un mundo que todavía está naciendo, zarparán teniendo como último destino la ciudad de Lima, según se enterarán ya a bordo, después de huir de Italia acosados por una influyente víctima de sus estafas. Pero verán zozobrar la veloz nave española en la que viajaban y cuando ya estén arrodillados en la bodega, a punto de desatarse sus orinas y materias fecales por el espasmo provocado por el tenor de la muerte cercana, en el momento en el cual quisieran rezar para arrepentirse de las vidas que han llevado, alguien gritará "tierra", sin que ninguno de ellos pudiera creer en el milagro. Sin embargo, entre la espesa niebla del Río de la Plata un cerro bajo y achatado recortará de pronto su figura que parecerá a los ojos de los náufragos un guía prodigioso, y el barco logrará arrimarse a la costa fondeando, ridículamente escorado, en un puerto increíblemente seguro.