Extrait Les corps de l’été

Martin Felipe Castagnet
Les corps de l’été
traduit de l’espagnol (Argentine) par Julia Azaretto
Prix de la Jeune Littérature Latino-américaine 2012
ISBN 978 2 911686 86 3
200 p
15 €
2012

C’est bien d’avoir de nouveau un corps, même si c’est un gros corps de femme que personne ne veut, et de marcher sur le trottoir en sentant la rugosité du monde. La chaleur sature la peau. Les yeux se ferment : il y a encore peu de temps, aucune lumière ne me comblait. J’aime aussi tousser jusqu’à être rauque ; retourner dans ma chambre et sentir les vêtements sales.
Les enfants de Théo m’aident à faire mes premiers pas. Ils portent la batterie, marchent et rient en tournant sur eux-mêmes. Le trajet va de la maison à l’angle, aller-retour. Quand nous arrivons au bout les enfants font la fête. Je passe la main sur la tête du petit et lui dis « qu’ils sont vibrants tes cheveux » ; je trouve ma voix bizarre.
Assis sur le perron, Théo me fait des signes. Il ouvre la bouche mais la vieillesse l’empêche de parler ; lui aussi sourit et hoche la tête comme s’il disait oui. Je prends la main de mon fils, gonflée comme un sac rempli de glaçons, mais qui serre fort.

Es bueno tener otra vez cuerpo, aunque sea este cuerpo gordo de mujer que nadie más quiere, y salir a caminar por la vereda para sentir la rugosidad del mundo. El calor me satura la piel. Los ojos se entrecierran : hace poco ninguna luz era demasiada para mí. También me gusta toser hasta quedar ronco ; regresar al cuarto y oler la ropa usada.
Los nietos de Teo me ayudan a dar mis primeros pasos. Sostienen mi batería, caminan y se ríen mientras giran sobre sí mismos. El trayecto va desde la casa hasta la esquina y de regreso. Llegamos a la meta y festejan. Paso la mano por la cabeza del más pequeño y le digo “qué vibrante tenés el pelo” ; mi voz me resulta extraña.
Teo me hace señas sentado desde los escalones frente a la puerta. Abre la boca pero la vejez le impide hablar ; él también sonríe y mueve la cabeza como diciendo que sí. Tomo la mano de mi hijo, hinchada como una bolsa llena de hielo, pero que aprieta fuerte.