Extrait Rodrigo SOTO

Rodrigo SOTO
Les Pétroglyphes
traduit de l’espagnol (Costa Rica) par Christophe Josse
ISBN 2-911686-19-5
2003
12 €

Parfois, je rêve des pétroglyphes. Alors je les revois comme je les voyais autrefois : des cris sourds, des cicatrices aveugles sur les pierres au bord de la rivière. Mais dans les rêves, c’est différent : la lumière est glauque, bleutée en fait, et les pierres paraissent plus éloignées, plus grandes et poreuses qu’elles ne l’étaient en vérité. Dans les rêves, il n’y a pas de moustiques, le courant du ruisseau est silencieux et bien que les grands arbres bordent le lit du cours d’eau, leur présence ne revêt pas l’importance qu’elle avait alors à mes yeux. Leurs feuilles ne susurrent pas, ne vibrent pas non plus sous la caresse du vent. Et l’on n’entend pas les oiseaux, les écureuils ne sautillent pas de branche en branche. C’est comme si tout le sens de la scène était condensé là : dans les cercles concentriques, les lignes ténues qui s’étirent sur les pierres, émettent un murmure et s’éclipsent. Moi je regarde les dessins, les dessins me regardent. C’est un silence privé de paroles et de pensées, une simple distance comme celle d’un poignard. Mais non, rien n’y est menaçant. Moi, je regarde les dessins, les dessins me regardent. Ils m’interrogent et je les interroge, moi aussi. Mais ce ne sont pas des questions ce ne sont que ces deux présences – les pétroglyphes et moi –, et un silence tendu entre nous, qui nous rapproche.
Je me réveille à cet instant, la plupart du temps. La nuit vibre dans mes paupières alors que les images s’effacent peu à peu, lentement, comme outrées d’avoir fait le déplacement, une fois encore, pour me signifier quelque chose que je ne comprends pas.
Lorsque Petra était là, tôt ou tard j’étais absorbé par sa respiration tandis qu’elle dormait près de moi dans un autre monde. Ses brusques sursauts éveillaient en moi un sentiment qui s’apparente, probablement, à de la tendresse. Habituellement, je la serrais dans mes bras, comme si j’avais pu étreindre celle du rêve, mais je ne me suis jamais bercé d’illusions. Malgré tout, je la serrais dans mes bras et, ensuite, doucement, je me perdais dans le sommeil afin de retrouver la paix, l’oubli, jusqu’à ce que je rêve à nouveau des pétroglyphes, la nuit d’après.

traduit de l’espagnol (Costa Rica) par Christophe Josse

De vez en cuándo sueño con los petroglifos. Entonces vuelvo a verlos como entonces : gritos sordos, cicatrices ciegas en las piedras junto al río. Pero en los sueños es distinto : la luz es casi verde, o azulada más bien, y las piedras parecen más distantes, más grandes y porosas de lo que eran en realidad. En los sueños no hay mosquitos, la corriente del riachuelo no se escucha, y aunque están los grandes árboles junto al lecho, su presencia no reviste la importancia que tenía entonces para mí. Sus hojas no susurran, no vibran con el roce del viento. Y no se escuchan los pájaros ni saltan ardillas de árbol en árbol. Es como si todo el significado de la escena se condensase ahí : en los círculos concéntricos, en las líneas tenues que se alargan en las piedras, murmuran algo y desaparecen. Miro los dibujos, los dibujos me miran. Es un silencio sin palabras ni pensamientos, una distancia pura como la de un puñal. Pero no, no hay nada amenazante ahí. Yo miro los dibujos, los dibujos me miran. Me interrogan y yo los interrogo. Aunque no son preguntas ; son sólo esas dos presencias –los petroglifos y yo–, y un silencio tenso entre los dos, uniéndonos.
En este punto, casi siempre despierto. La noche vibra en mis párpados mientras las imágenes se van desvaneciendo, despacio y como si protestaran por haber venido hasta aquí, una vez más, para decirme algo que no comprendo.
Cuando estaba Petra, tarde o temprano caía en su respiración, mientras ella dormía a mi lado en otro mundo. Sus repentinos sobresaltos despertaban en mí algo que supongo debo de llamar ternura. Solía abrazarla como si pudiera acariciar a la del sueño, pero siempre supe que no era posible. Aún así la abrazaba, y después, despacio, me perdía en el sueño para reencontrar la paz, el olvido, hasta la siguiente noche en que soñara con los petroglifos.