Sous pression


Faruk SEHIC
Sous pression
traduit du bosniaque par Christine Chalhoub
ISBN 978-2-911686-93-1
2014
15 €


Pour l’éternité

1.

Le deal était très simple. On allait se déployer en ligne. Tous les neuf. À intervalles de cinq à dix mètres les uns des autres. Attaque frontale conformément au règlement du service. Le Chauve tirerait au lance-roquettes. C’est notre préparation d’artillerie. Là, on surgirait des herbes. On se mettrait à canarder et à hurler Allah akbar en se ruant vers leurs tranchées. Survivrait qui pourrait.
Pour l’instant, on est encore en sécurité dans nos lignes, à tirer sur nos clopes. Casque sur le crâne, la poitrine bardée de chargeurs de trente cartouches chacun. Le Chauve porte son lance-roquettes sur le dos. Notre puissante artillerie. Faćo est le seul d’entre nous à avoir un modèle de kalachnikov à crosse en bois. Il prétend que cette arme lui porte chance. Trop contents de ne pas devoir aller à l’action, les yeux pétillant d’allégresse, les gars de la ligne de front nous offrent des cigarettes et du café. Tout pour les commandos ! Conversation banale, personne ne mentionne ce qui nous attend. Comme si on allait partir en pique-nique et non pas monter à l’assaut.
Rudoyant les charmes et les hêtres, le vent d’octobre démobilise les feuilles qui ont fait leur temps. En tombant, elles se frôlent avec un froissement de soie indienne. Les pins, eux, sont inaltérables. Le vent glisse entre leurs aiguilles vert foncé comme entre les dents de milliers de peignes. On attend que le commandant du bataillon se manifeste par cellulaire pour donner l’ordre d’attaque. La nuit est déjà bien avancée. Nous tenons une position dans les bois. Une drôle de ligne en fer à cheval. En contrebas, une route goudronnée. Plus bas encore, une énorme doline, aussi sombre que la gorge de King Kong. Notre ligne se prolonge sur trois cents mètres au-delà de la doline, comme un clou enfoncé dans leurs positions. Du coup, on est foutrement exposés à des armes de tous les calibres possibles. D’un geste du bras, le Chauve donne le signal du mouvement. Malgré la nuit noire, Hafura et moi partons en reconnaissance, à tout hasard. Sortis du bois, tels des esprits en tenue de camouflage, nous marchons en nous raccrochant aux buissons rabougris. Si jamais quelqu’un tire, on est foutus, parce qu’on est pris entre leurs positions et les nôtres. La seule chose sur laquelle on compte, c’est l’ouïe. On entend un murmure indistinct de gens qui parlent. Nous retenons notre souffle. Depuis leurs tranchées nous parviennent comme des coups frappés sur la terre. Bruit sourd. Comme s’ils étaient en train de s’enterrer. Qu’est-ce qu’ils foutent, bordel ? Le Chauve nous rejoint avec le reste de l’escouade. On se dispose comme prévu, on se met à ramper. Golo Brdo, mont Pelé : y a-t-il un nom plus débile pour ce piton ? Peu à peu, on finit par atteindre le point convenu. On ne voit pas leurs tranchées. Elles sont sans doute juste au-dessous du sommet, sur le versant arrière. Le Chauve se relève, déploie les tubes de son lance-roquettes, vise au juger. La roquette s’envole par-delà la cime, direction Perpète-les-Oies. À tous les coups, elle est tombée sur une étable ou une autre bâtisse d’importance stratégique. Pas grave, ce qui compte c’est l’effet psychologique. L’explosion fait monter la peur : exorbités, les yeux se révulsent comme ceux d’un bœuf à l’abattoir. Nous, on court, on tire, on hurle. Les mètres paraissent aussi longs que les kilomètres d’un marathon. Le temps se distend comme l’élastique d’un lance-pierres. Des fusées éclairantes jaillissent de tous les côtés. Les tirs adverses nous ralentissent. On doit s’allonger par terre sans nulle part où se planquer. C’est tout. Golo Brdo, mont Pelé. Tombeau à ciel ouvert. Y a plus qu’à brouter l’herbe !

Do vječnosti

1.

Dogovor je bio vrlo jednostavan. Razvući ćemo se u liniju. Nas devet. Razdaljina od jednog do drugog je 5-10 metara. Frontalni napad prema pravilu službe. Ćelo će ispucati zolju. To je naša artiljerijska priprema. Dići ćemo se sa trave. Početi pucati i tekbirati trčeći prema njihovim rovovima. Pa ko živ ko mrtav.
Sad ležimo i pušimo u sigurnosti naše linije. Šljemovi su na glavama, grudni RAP-ovi ispunjeni okvirima od po trideset metaka. Ćelo na leđima nosi zolju. Naša moćna artiljerija. Jedini od nas Faćo ima automat s drvenim kundakom. Kaže da mu ta puška donosi sreću. Linijaši nas nude cigarama i kafom, žmirkajući od sreće, zadovoljni što oni ne idu u akciju. Sve za diverzante. Razgovor je uobičajen, niko ne spominje ono što će se desiti. Kao da idemo na piknik a ne u juriš.
Oktobarski vjetar demobiliše isluženo lišće sa graba i bukve. U padu, ono se dodiruje i šušti poput indijske svile. Borovi su neuništivi. Tamnozelene iglice češljaju vjetar. Čekamo da se komandant bataljona javi motorolom i dâ naređenje za napad. Noć je već odavno na snazi. Mi smo u šumi. Tu je formirana čudna potkovičasta linija. Ispod šume je asfaltna cesta. Još niže je ogromna uvala, mračna kao ždrijelo King Konga. Tristo metara preko uvale nastavlja se naša linija. Tako da smo uklinjeni u njihovu liniju. I nenadjebivo istureni prema oružjima svih kalibara. Ćelo rukom daje znak za pokret. Hafura i ja odlazimo u izviđanje, za svaki slučaj, iako je noć komandujuća boja. Izlazimo iz šume. Hodamo kao maskirni duhovi. Privlačimo se do kržljavog grmlja. Ako neko slučajno zapuca, mi smo donji jer se nalazimo između linija. Jedino na šta se oslanjamo je sluh. Čujemo nerazgovjetan ljudski govor. Susprežemo disanje. Iz njihovih rovova dopire neko lupkanje po zemlji. Zvuk je tup. Kao da se ukopavaju. Koji kurac sad to rade ? Prilazi nam Ćelo sa ostatkom odjeljenja. Raspoređujemo se po dogovoru i počinjemo puzati. Golo brdo : postoji li gluplji naziv za čuku ? Polako napredujemo do određene tačke. Ne vidimo njihove rovove. Biće da su im rovovi malo ispod samoga vrha čuke, u zadnjem nagibu. Ćelo ustaje, rasklapa zolju. Nišani odoka. Raketa odlijeće iza brda u Zanzibar. Sigurno je pogodio štalu ili neki drugi strateški objekat. Nije ni bitno, to je običan psihološki trik. Eksplozija pojačava strah, a u strahu su velike i bijele oči kao u vola pred klanje. Trčimo, pucamo i urlamo. Metri se čine dugi kao kilometri u maratonu. Vrijeme se rasteže poput praćke. Svijetleći meci frcaju na sve strane. Njihova pucnjava nas usporava. Ležimo na zemlji bez ikakvog zaklona. To je to. Golo brdo. Mrtvački poligon. Lezi i pasi travu !